Visiter la vie comme on visite des maisons

Publié le par L'inopinée

La Petite Trotteuse, Michèle Lesbre


"La Petite Trotteuse" : une aiguille imperturbable, qui indique tour à tour les soixante secondes de chaque minute qui passe. Une aiguille toute en finesse pourtant capable d'imprimer à notre vie le rythme angoissant de son tic-tac. Une aiguille qui tourne en rond, sans s'attarder, dans le cadran d'une montre. La montre du père, un père disparu, aimé passionnément mais tellement silencieux, triste, proie facile de fantômes inconnus et insaisissables.
La narratrice chemine de maison en maison comme la trotteuse de la montre paternelle passe d'une seconde à l'autre. Chaque maison, qu'elle visite comme si elle était acheteuse, est le prétexte à un rituel de vie quotidienne, jusqu'à ce qu'un infime élément trahisse la vie volée. Et des souvenirs.
Un flot de souvenirs incontrôlable, vif, brutal, parfois cruel, submerge la narratrice dans cette maison de la Pinède. Un puzzle se reconstruit petit à petit, avec les bribes de vie captées à l'auberge où elle s'est installée quelques jours : un chat orange, une mère et sa fille à l'étonnante philosophie, un voisin de chambre attiré par le caractère éphémère des choses et des êtres, un livre discrètement emprunté comme un trait d'union entre deux existences. Le réseau des souvenirs se tisse tout autour. Et la petite trotteuse n'en finit pas de tourner.

Un roman subtil comme La Petite Trotteuse laisse perplexe. En l'espace des deux ou trois jours qui sont racontés, une vaste partie de l'enfance passée de la narratrice est relatée par le biais de ces souvenirs, qu'une moindre parcelle de vie, un geste, une lumière particulière, une expression, une parole, viennent raviver. Dans le désordre chaotique des pensées de celle qui part à la recherche inavouée de ses origines, on saisit des évenements dramatiques ou magiques, heureux ou malheureux, précieux ou refoulés.
Et la puissance du temps qui passe ne cesse de nous rappeler que tout doit avoir une fin, que le présent deviendra aussi le passé. C'est un roman qui envoûte malicieusement, presque sournoisement, pour nous surprendre soudain, au détour de l'ultime tic-tac d'une petite trotteuse.

Publié dans Romans français

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article